Pour assurer notre premier pas, examinons
ce que l'on doit entendre par le mot histoire : car les
mots étant les signes des idées, ils ont
plus d'importance qu'on ne veut croire. Ce sont des étiquettes
apposées sur des boîtes qui souvent ne contiennent
pas les mêmes objets pour chacun ; il est toujours
sage de les ouvrir, pour s'en assurer.
Le mot histoire paraît avoir été
employé chez les anciens dans une acception assez
différente de celle des modernes : les Grecs, ses
auteurs, désignaient par lui une perquisition,
une recherche faite avec soin. C'est dans ce sens que
l'emploie Hérodote. Chez les modernes, au contraire,
le mot histoire a pris le sens de narration, de récit,
même avec la prétention de la véracité
: les anciens cherchaient la vérité, les
modernes ont prétendu la tenir ; prétention
téméraire, quand on considère combien
dans les faits, surtout les faits politiques, elle est
difficile à trouver. Sans doute c'était
pour l'avoir senti, que les anciens avaient adopté
un terme si modeste ; et c'est avec le même sentiment,
que pour nous le mot histoire sera toujours
synonyme à ceux de recherche, examen, étude
des faits.
En effet, l'histoire n'est pas une véritable enquête
de faits ; et ces faits ne nous parvenant que par intermédiaires,
ils supposent un interrogatoire, une audition de témoins.
L'historien qui a le sentiment de ses devoirs, doit se
regarder comme un juge qui appelle devant lui le narrateur
et les témoins des faits, les confronte, les questionne,
et tâche d'arriver à la vérité,
c'est-à-dire à l'existence du fait, tel
qu'il a été. Or, ne pouvant jamais voir
le fait par lui-même ; ne pouvant en convaincre
ses sens, il est incontestable qu'il ne peut jamais en
acquérir de certitude au premier degré ;
qu'il n'en peut juger que par analogie, et de là
cette nécessité de considérer ces
faits sous un double rapport : 1° sous le rapport
de leur propre essence ; 2° sous le rapport de leurs
témoins.
Constantin François de Chasseboeuf, comte de Volney,
Leçons d'histoire (1795) |